• Les femmes dans le Seigneur des Anneaux

       Si je devais faire un reproche au Seigneur des Anneaux (et surement le seul que je trouverais) ce serait le peu de personnages féminins présents dans un récit d’une telle ampleur !

      En effet, la liste des femmes jouant un véritable rôle est bien courte : Galadriel, Arwen, Eowyn et Baie d’Or. La rareté des mères, des soeurs, des épouses est criante dans chaque race de la Terre du Milieu. Les femmes ents ont disparues, les femmes Naines sont inexistantes. Chez les hommes également, il n’est fait aucune allusion à l’épouse de Théoden et Finduilas, la femme de Dénéthor est morte. De même, Celebrian, femme d’Elrond et fille de Galadriel et Celeborn, n’apparait aucunement. Quant aux hobbits, Frodon étant orphelin, les seuls femmes brièvement évoquées se résument à Belladonna Touque, mère de Bilbon, et Rosie Chaumine, l’épouse de Sam. En outre les personnages féminins sont, Eowyn mise à part, de simples figurines sur un décor inamovible (Arwen reste à Fondcombe, Galadriel en Lórien). 

     

    Mais alors peut on pour autant parler de sexisme dans cette oeuvre ?

     

    Pour tenter de répondre à cette question il me semble important de poser le contexte de l’écriture de l’oeuvre, à la fois en se penchant sur la vie de l’auteur mais aussi en évoquant ses inspirations littéraires. 

     

    La période à laquelle vécut Tolkien (entre 1892 et 1973) est celle d’importants

    changements pour le statut de la femme. En effet, les idéaux de l’Angleterre victorienne enferment la femme au mieux dans le rôle d’une sainte, au pire comme la propriété de son père puis de son mari, ses droits se résumant à ceux d’un petit enfant. Elle ne peut pas porter plainte ni demander le divorce, ne peut pas gérer de compte bancaire ni accéder à un emploi, excepté pour ceux de l’enseignement. Au lieu de mener une carrière professionnelle, la femme doit se consacrer entièrement à son rôle de mère et de maîtresse de maison.

     

    Cependant, le XXeme siècle voit émerger le mouvement féministe des suffragettes qui se poursuit pendant la première guerre mondiale. Les femmes occupent des postes auparavant réservés aux hommes, ce qui provoque une forte remise en question à la fin des conflits et conduit au droit de vote en 1918 (pour les femmes de 30 ans d’abord, puis en 1928 à 21 ans comme pour les hommes). La Seconde Guerre Mondiale apporte à son tour d’autres changements : les « land girls » remplaçaient ainsi les hommes partis au front pour les travaux dans les champs et quelques 500 000 femmes firent partie des forces armées. Dans la période d’après-guerre, la femme s’émancipa pour de bon avec notamment le « Principe d’égalité sans discrimination de sexe » qui entra dans la Charte des Nations Unies le 26 Juin 1945.

     

     

    Concernant la vie personnelle de Tolkien, la présence de femmes peut se résumer à sa mère et son épouse. La première, qui l’élève seule ( son père meurt très tôt), est décédée elle aussi prématurément, à 34 ans. Ce deuil marque indéniablement très profondément la personnalité de Tolkien. D’un naturel plutôt jovial, il se met à développer un penchant au pessimisme, voire au désespoir, qui le poursuit jusqu’à la fin de sa vie. C’est également la mort de sa mère qui renforce l’importance de la religion catholique dans la vie de l’auteur. En effet, sa mère s’était convertie contre l’avis de sa famille, protestante, au catholicisme et l’on peut aisément penser que la foi de Tolkien est liée à cette histoire. Cette foi très ancrée en lui explique la pudeur dont font preuve ses écrits desquels la sexualité est totalement proscrite.

     

    Son histoire avec sa femme, Edith, est aussi très importante pour tenter de comprendre l’auteur. Ils se rencontrent très jeunes (John Ronald Reuel a alors 16 ans). Toutefois, le tuteur de Tolkien, le père Morgan, s’oppose à cette relation et interdit à Tolkien de continuer à la voir (le fait qu’Edith soit protestante n’arrange pas la situation), le menaçant de mettre un terme à ses études s’il n’obéit pas. Le jour de sa majorité, en 1913, Tolkien écrit à Edith pour la demander en mariage. La jeune femme s’est entre-temps promise à un autre, mais elle rompt ses fiançailles et se convertit au catholicisme sur l’insistance de Tolkien. Ils célèbrent leurs fiançailles à Warwick en janvier 1914.

     

    Tolkien identifie son couple à ses héros romantiques et il demandera à ce que soient gravés les noms « Beren » et « Luthien » sur sa tombe et celle de son épouse, d’après l’histoire d’amour entre un homme et une elfe dans le Silmarillion. L’histoire d’Aragorn et d’Arwen entretient d’ailleurs de fortes relations intertextuelles avec celle ci. L’elfe doit abandonner son immortalité afin de pouvoir vivre avec celui qu’elle aime. Il s’agit d’un cas très exceptionnel dans la mythologie de Tolkien, c’est pourquoi le choix d’Arwen est appelé « le choix de Luthien ».

    Enfin, sa vie d'universitaire à Oxford est celle d'un collège pour garçons, d'un cercle masculin très fermé (les Inklings), il n’a donc que peu de femmes dans son entourage proche.

     

     

    Concernant les inspirations littéraires de l’auteur, Tolkien était semble-t-il passionné par les légendes épiques nordiques. Son oeuvre dans sa totalité constitue une sorte de mythologie qui est tout à fait crédible en tant que telle, tant par la complexité de ses légendes que par leur précision.  Il est donc intéressant de regarder de plus près la place des femmes dans ces légendes parmi lesquelles la saga islandaise des Volsungs, les poèmes épiques finlandais du Kalevala, ou encore le roman arthurien Sire Gauvin et le Chevalier Vert (duquel il réalisa une traduction d’ailleurs). On peut également citer le poème anglo-saxon Beowulf dont il a rédigé une préface.  

     

    Ces légendes présentent majoritairement les caractéristiques de sociétés patriarcales : les dirigeants sont toujours des hommes,  la narration restant le plus souvent centrée autour des actions du héros, les rôles des femmes demeurent mineurs dans le récit et surtout limités à une fonction bien précise. Cet effacement n’est cependant guère surprenant dans une société dont la hiérarchie est moins basée sur les liens du sang que sur les faits d’armes.  

     

    Mais alors puisque Tolkien ne cherche pas à présenter un monde nouveau mais un monde antérieur à celui que nous connaissons, qui réinvente les origines de notre monde sur un mode mythique, ne semble-t-il pas logique que les femmes soient, en Terre du Milieu tout comme dans les époques ultérieures de l’Angleterre, relayées au second plan ?

     

     

    A première vue donc, les personnages féminins ne sont pas vraiment mis en valeur : marqué par les stéréotypes (de la beauté notamment), leur rôle paraît insignifiant par leur manque de présence, seulement en marge de la grande guerre menée tout au long de la trilogie. Mais leur statut de femmes isolées dans un monde d’hommes ne créé-t-il pas justement leur importance ? Il me semble que c’est en fait parce que les personnages féminins sont peu nombreux, qu’ils ressortent et marquent le lecteur, tandis qu’il oublie une multitude de personnages masculins. De plus, bien que les femmes soient rares, chacune d’elle incarne un concept bien précis : 

     

    Arwen est la Princesse, la Dame du chevalier, reprenant le thème de l’amour courtois (bien qu’un peu divergent de la tradition chevalière), elle est un point de relais entre le héros et sa quête. En effet, si Aragorn s’engage dans une quête personnelle puis se joint à la Communauté de l’Anneau, c’est avant tout pour aller revendiquer son droit au trône de Gondor, afin d’être digne d’épouser Arwen. Le père de la princesse a en fait exigé de lui

    qu’il devienne roi. Sa destinée a été tracée par la volonté de la dame qui impose ainsi sa volonté tant à son amant qu’à son père, Elrond, en choisissant de renoncer à son immortalité par amour.

     

    Galadriel est la Magicienne, une sorte de réminiscence de la Vierge Marie, qui se démarque des autres par son pouvoir. C’est en effet le seul personnage féminin à diriger son peuple, aux côtés de son époux Celeborn. Elle est également porteuse de l'un des trois anneaux des elfes : Nenya, l'Anneau de Diamant.

     

    Eowyn a elle aussi un rôle très important et bien différent des autres. Elle est féministe, forte, et représente dotant plus le courage qu’elle est de la race des hommes, souvent considérée comme la race la plus faible de la Terre du Milieu. Comme Arwen elle conduit aussi le héros à sa quête, permettant à Merry de devenir un héros de guerre en le conduisant en Gondor. Mais surtout, elle part à la guerre, déguisée en homme, pour échapper à son destin de femme bridée dont elle est parfaitement consciente ( « Toutes vos paroles n’ont d’autres but que de dire : vous êtes une femme et votre rôle est dans la maison»). Elle est confrontée au seigneur des Nazgûl, le Roi-sorcier d'Angmar, qu'elle détruit, accomplissant ainsi la prophétie de Glorfindel selon laquelle le seigneur des Nazgûl ne serait pas tué par un homme.

     

    À la fin des livres, Eowyn épouse Faramir et décide de se consacrer à une vie tranquille, loin de la gloire ou des apparats de la royauté, elle devient par ailleurs guérisseuse. Alors que pour beaucoup cela semble être une régression pour la femme qu’on croyait émancipée je pense que c’est au contraire une affirmation de qui elle est, alors qu’elle était partie à la guerre pour y chercher une liberté qu’elle ne trouvait pas en Rohan. L’oeuvre de Tolkien dénonçant par ailleurs l’absurdité de la guerre c’est bel et bien une Eowyn plus mature et plus sure d’elle qui souhaite s’éloigner de cette violence intolérable. Son amour pour Aragorn est selon moi la preuve du mal être qu’elle ressentait et qui la fit aimer un homme simplement pour ce qu’il représente, une liberté et une force d’esprit qu’elle croit ne pas avoir en elle. En choisissant son destin elle prend justement conscience de cette force.

     

    Quand à Baie d’or, la compagne de Tom Bombadil, elle est la Nymphe, une incarnation de Mère Nature. Enfin l’araignée géante, Arachnée, est une vision

    du côté sombre de la femme. 

     

    Toutes ces femmes possèdent donc dans le récit un statut archétypal, ce qui explique leur nombre réduit. Je voudrais aussi ajouter que les elfes masculins ont de nombreuses caractéristiques qu’on pourrait qualifier de « féminines » (leur visage d’une pure beauté, leur chevelure, leurs nombreux ornements, leur douceur…). La race des elfes est ainsi un peuple qui semble effacer la frontière entre les genres alors même qu’il est vu comme le plus sage, le plus puissant et le plus clairvoyant des peuples de la Terre du Milieu. 

     

    Le rôle multidimensionnel des femmes du Seigneur des Anneaux en fait donc des ingrédients essentiels au récit et nécessaires à son équilibre. Après tout, l’impression de sexisme laissée par l’œuvre est surtout liée à la rareté des personnages féminins et au vécu de l’auteur. Mais cette vision peut être combattue grâce à l’analyse des thèmes qui parcourent l’œuvre toute entière, et dans lesquels les femmes jouent un rôle primordial.  

     

    Mon analyse étant brève, il est possible que j’ai oublié des éléments, je m’en excuse, n’hésitez pas commenter  si c’est le cas. De plus je conçois totalement que ce soit MA vision des choses et non pas une vérité universelle alors j’aimerai beaucoup avoir vos avis !

     

    Merci de m’avoir lue, bonne journée !

     

     

     

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